Voyage immobile - Italie - Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé
En cette période de confinement qui nous force à l'immobilité, on rêve d'horizons lointains, d'escapades, de longues balades dans la nature, et on se remémore les voyages passés, ceux des jours heureux où l'on pouvait prendre le train, l'avion sans se poser de question.
On rêve de prendre sa voiture et rouler jusqu'à la mer sans attestation dérogatoire de déplacement, et sans motif, juste pour sentir l'air iodé et ouvrir les volets qui donnent sur la plage.
On envisage un voyage prochain, on ose espérer, sans pourtant planifier.
Le mot "vacances" sonne toujours comme l'espoir de pouvoir de nouveau vadrouiller sans contrainte.
Alors, comme un avant-goût de cet ailleurs, les pages des livres nous emmènent vers des contrées que l'on ajoute à la longue liste des lieux, des villes, des pays à découvrir.
Je rêve du soleil aride et éblouissant du Sud de l'Italie, du talon de la Botte que l'on nomme les Pouilles.
Une lumière qui se reflète sur les façades blanches des villages accrochés à flan de collines surplombant une mer d'azur.
Je rêve de dormir dans un trulli, maison conique dont la fraicheur doit tant contraster avec la fournaise qui enflamme les pierres et les champs d'oliviers.
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Je vois déjà les villes blanches et la mer translucide, les petites criques...
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Et le parfum des pierres chauffées par un soleil de plomb.
"'La chaleur du soleil semblait fendre la terre"
A Montepuccio, la lignée des Scorta, née de scélérats, mène une vie de labeur et de sueur, fiers descendants de bandits de grands chemins qui sillonnent le massif de Gargano, cet éperon de la Botte.
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A ses enfants, Rocco Scorta n'a rien laissé de sa fortune acquise de ses crimes, il les voue à la misère en faisant don de ses biens aux habitants du village qui le craignent tout autant qu'ils le haissent.
Ce don, ce sera sa malédiction envers ces villageois qui ont tué son père et l'ont voué aux gémonies.
De leur indigence, ses enfants en feront une force qui les unira, cherchant à toujours se dépasser, transformer leur existence : "tout à construire et un appétit de lion. Il faut profiter de la sueur crois-moi. Après, tout finit si vite".
L'histoire des vies de Domenico, Guiseppe, Raffaele et Carmela, faites d'amour des leurs et de la fierté d'avoir su garder la tête haute malgré les épreuves, d'avoir accepté leur destin au point d'aimer simplement la rudesse de leur existence aussi aride que les pierres du Gargano.
Au fil des années, Montepuccio change. Ce pays de misère et de poussière devient une station balnéaire où les gens du Nord affluent l'été.
Mais les Scorta demeurent immuablement simples et ancrés aux pierres des collines et aux oliviers.
Photo @l'occhiodiLucie
Aucun d'entre eux ne cherche à partir vers des horizons meilleurs.
Le monde est vaste, mais leur terre est la seule qui compte, et leur famille et la transmission de son Histoire, leur unique ambition.
L'horizon, ils le contemplent du haut d'un trabucco surplombant la mer d'où résonnent leurs rires.
Photo @l'occhio di Lucie
C'est l'histoire d'une fratrie unie à jamais.
"Les hommes comme les olives, sous le soleil de Montepuccio, étaient éternels"
Ce roman se lit d'une traite.
La beauté de l'écriture de Laurent Gaudé une fois de plus transporte le lecteur dans la puissance du récit, de ses personnages simples et fiers de leur sang, de leur nom, et ces paysages qu'on imagine inondés de soleil, ce soleil des Scorta.
Montepuccio n'existe que dans l'imagination de l'auteur et la nôtre à présent, mais un jour j'irai voir le Gargano, et je dormirai dans un trulli.
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Sur un chemin de poussière, un âne avançait lentement.
Et son cavalier semblait une ombre condamnée à un châtiment antique
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Le soleil des Scorta, de Laurent Gaudé, Editions Babel, Prix Goncourt 2004.
Et pour poursuivre le voyage ou le préparer, il faut suivre L'Occhio di Lucie et sa balade inspirante dans les Pouilles.
Et découvrir l'Italie à travers les pages de son blog l'Occhio di Lucie, une pépite.