Le Grand Marin # Catherine Poulain
Je vais vous entrainer à la découverte d'un tout premier livre, qui pour moi est une réussite absolue. Tout est fascinant : le style incroyablement puissant de l'écriture, l'histoire si atypique, et l'écrivain, une femme hors du commun.
J'avais été émue et subjuguée par la force qui se dégageait de Catherine Poulain malgré son apparence frêle, sa timidité lorsqu'elle parlait de son livre.
Ses mots simples et sincères sonnaient presque maladroitement après la virtuosité un peu empreintée des autres auteurs interviewés avant elle, à la Grande Librairie.
Puis une autre interview d'elle, que j'écoutais avidemment sur France Culture, sur la route du weekend vers la Normandie, et où elle avait lu quelques pages, de sa voix profonde.
J'étais littéralement tombée sous le charme de l'auteure, et ce livre, Le Grand Marin, largement autobiographique, figurait en bonne position dans ma pile à lire.
Je me suis fait happée totalement par le récit incroyable d'une femme qui fera tout pour devenir un vrai marin, dans des conditions extrêmes, en Alaska.
L'écriture est vive, précise, rapide, rude parfois, comme les campagnes de pêche. C'est cru, le lecteur est remué par les tempêtes, par la violence du climat, des hommes.
Tout semble si desespéré. Ces marins ne sont des hommes qu'en mer, solidaires malgré les conditions extrêmes et la frugalité des contacts.
Ils se transforment en loques imbibées d'alcool et de drogues, à la dérive sur la terre ferme. Et on se demande ce qui les a tous attirés là, marginaux sauf en mer.
Pourquoi Lili a-t-elle échoué dans ce bout du monde hostile et froid ? On sait qu'elle a fui la France, sans savoir pourquoi vraiment.
Quel vent l'a transportée jusqu'à l'ile de Kodiack, un cauchemar pour tout être normal.
Lili n'attend rien de particulier de la vie, sauf de faire ses preuves et conquérir ses galons de marin, pour enfin aller pêcher le crabe sur la mer de Béring, pêche tant redoutée, dans les pires conditions.
Elle veut être libre, pour toujours, même si cette liberté a un prix, et même l'amour rugueux et rustre que lui porte le Grand Marin ne l'attrape pas dans ses filets. L'homme-lion, celui qu'elle admire en mer, un fauve sur l'océan, mais un colosse qui échoue dans les bars dès qu'il débarque,
Catherine Poulain réussit à transformer le regard du lecteur sur ces parias. On comprend le désespoir latent qui plane sur le port. Le désoeuvrement entre deux campagnes de pêche.
On vit au rythme de Lili, sa quête éperdue d'un bateau prêt à l'embaucher, elle, la clandestine.
On admire son obstination, son courage, malgré la rudesse des marins, ses blessures, la peur en mer, à s'en rendre malade.
On la comprend.
Elle est parvenue à réaliser son rêve, même s'il nous semble bien étrange, à nous lecteur, douillettement emmitouflé dans ses couvertures et ses oreillers moelleux.
Il faut absolument découvrir le style incroyable de Catherine Poulain.
La poésie des pages en mer, qui transforment les campagnes de pêche en un ballet muet dans la violence assourdissante des tempêtes.
La justesse des portraits de ces pêcheurs de l'extrême, des habitants de Kodiack, de ces vieilles indiennes abîmées par l'alcool.
La rudesse de l'histoire, la violence des corps à corps avec les flétans, poissons immenses et convoités, celle des hommes une fois à terre...
Ce livre est un phénomène littéraire, écrit par une femme qui a été marin pendant dix ans en Alaska, puis bergère dans les Hautes-Alpes.
Son écriture est formidable, atypique, comme cet écrivain qui détonne dans les salons parisiens, et n'en est que plus attachante.
Embarquez-vous à bord du Rebel, vous allez adorer. Laisser vous emporter par cette déferlante.
Le Grand Marin, de Catherine Poulain, aux Editions de l'Olivier.